Retail : à l’heure de la réinvention

 

 

La recomposition du retail s’amplifie et s’accélère. Confrontés à une sélection darwinienne, certains distributeurs restent en sursis. D’autres, en revanche, préparent leur rebond, voire leur renaissance : la crise sanitaire leur a donné l’occasion d’expérimenter une nouvelle façon de penser le commerce, et surtout de le vivre. Voici comment…

 

1. PARC DE MAGASINS : sortir du cadre et penser à long terme

 

Diversifier ses modèles de commercialisation

C’est le cas de Décathlon, qui enrichit sa palette de canaux de vente traditionnels (points de vente, site marchand…), en opérant comme fournisseur d’enseignes alimentaires (en France, chez Franprix, en Belgique, dans un Carrefour), et comme concessionnaire (avec un shop in shop à Auchan Orléans). Ces nouveaux modes opératoires lui permettent de se développer rapidement en maîtrisant les investissements, et en réduisant le risque financier. Ainsi, ces initiatives sont moins consommatrices de capex et peuvent être arrêtées plus facilement si elles s’avèrent non concluantes.

 

Préempter les futures zones chaudes du commerce, en particulier avec des formats compacts

La proximité est structurellement plébiscitée par les consommateurs. De plus, le rapport à la mobilité et à la ville évolue durablement. C’est donc le moment pour les enseignes de réfléchir à une évolution à long terme de leur empreinte sur le territoire. Les formats compacts, font partie des solutions de redéploiement. Ils sont facilement localisables dans les zones de flux, et ils ne nécessitent pas d’autorisation d’exploitation commerciale (CDAC).

Jadis, ces formats étaient insuffisamment performants car bridés par une offre trop courte. Maintenant, ils peuvent bénéficier d’une nouvelle attractivité, à condition de proposer aux clients l’accès à toute la gamme – via le drive / les comptoirs. Ceci suppose de maîtriser la chaine omnicanale et ses aspects logistiques et informatiques. En termes de concept, cela signifie unifier le meilleur du monde digital (l’offre, le prix), avec celui, plus expérientiel et plus stimulant, du physique. Ainsi se comprennent l’initiative récente de Castorama dans le centre de Lille, ou d’Ikéa à Paris.

 

S’étendre sur des marchés adjacents, et en particulier l’occasion ou l’économie du partage.

Des pure players, comme Vinted et Back Market progressent régulièrement et figurent déjà parmi les sites préférés des français (6ème et 12ème selon Fox Intelligence). Les enseignes de distribution physique, elles, abordent l’occasion de façon plus ou moins offensive. Ainsi, Carrefour et Cora ont ouvert leurs premiers concepts en sous-traitant l’exploitation à un spécialiste ; la startup Patatam initie des partenariats avec des enseignes de vêtement (Kiabi, Gémo) et avec Auchan. De son côté, E.Leclerc, qui dispose déjà de 50 points de vente Leclerc Occasion, a intégré l’activité pour mieux maîtriser son développement, en terme de vitesse et de performance.

 

 

2. ORGANISATION : gérer l’équilibre entre autonomie des équipes et rigueur des process

 

Bien sûr, la qualité d’exécution repose sur des process rigoureux et huilés. Pour des enseignes comme Costco, Lidl ou Amazon, c’est même un des piliers de leur performance. Pour les autres, attention toutefois à ne construire ces process qu’à l’aune de la rigueur et de la méticulosité. Les process doivent plus que jamais être pensés pour venir en support de l’intelligence humaine – individuelle et collective -.

D’une part, l’intelligence apporte ce supplément d’âme indispensable pour sublimer l’expérience client. D’autre part, elle permet, mieux que n’importe quel process, de gérer des situations non anticipables. Or, les attentes clients sont toujours plus élevées et les imprévus, toujours plus fréquents.

 

A titre d’illustration, les magasins qui, pendant la crise sanitaire, ont le mieux absorbé les pics de demande en drive se sont appuyés sur des équipes terrain engagées, et avec le niveau d’autonomie approprié. Cette autonomisation locale a permis de prendre un ensemble de microdécisions pragmatiques et orientées client, en conformité avec les règles du siège.

In fine, cela se voit dans le CA et dans le NPS. Et ce n’est pas qu’une question de gouvernance : parmi les enseignes qui se sont illustrées dans ce domaine, on retrouve aussi bien des indépendants (ex. Intermarché), que des intégrés (ex. Brico Dépôt).

 

 

3. ACTIFS : développer la ressource la plus précieuse = la matière grise

 

Un besoin indéfectible de digitalisation et de commerce unifié

La crise sanitaire a fini de convaincre l’ensemble de la profession. Pour certaines enseignes, les 2 mois de confinement ont eu plus d’impact que les 2 dernières années de transformation digitale ! Le succès de la digitalisation repose bien sûr dans les outils et les systèmes – et donc dans les capex / opex associés. Mais la différence se fait ailleurs : les plus avancés en digital ne sont pas systématiquement les plus dépensiers ; ce sont les mieux organisés, les plus volontaristes et les plus compétents.

 

Une chasse aux compétences rares qui s’intensifie

Dans un univers voisin, Google choisit de mieux rémunérer certains ingénieurs en IA que des cadres dirigeants, pourtant mieux positionnés dans l’organisation. Plus près de chez nous, Carrefour souhaite donner un souffle nouveau à son marché frais trad. Il vient pour cela de recruter son directeur de marché dans une startup. Ce type de mouvement sera amené à se développer car tout collectif s’enrichit grâce au métissage de différentes formes de matières grises.

 

Le graal du jeu collectif et de la rétention des bonnes idées

Car l’enjeu le plus critique réside dans la rétention de cette matière grise, et dans la capacité à faire travailler ensemble des intelligences complémentaires, depuis l’incubation jusqu’au déploiement. L’histoire du drive est typique d’un leadership qui n’a pas été continu de bout en bout : le drive a été conceptualisé par 2 entrepreneurs du commerce. Deux à trois années plus tard, il a été prototypé au sein d’Auchan (à Leers, probablement à l’initiative d’un chef de secteur). Aujourd’hui, c’est Leclerc qui est leader en parts de marché ! C’est un peu comme si l’inventeur d’un vaccin ne bénéficiait pas de sa commercialisation…

 

 

4. MISSION : redonner au métier de commerçant ses lettres de noblesse

 

La mission vis-à-vis des collaborateurs

Cela passe d’abord par une meilleure valorisation des collaborateurs. Le contexte du premier confinement a permis aux équipes terrain de prendre conscience de l’importance de leur métier pour l’ensemble de la société. Et pour prendre un peu de recul par rapport au contexte sanitaire, certains dirigeants ont invité leurs équipes à réfléchir collectivement à l’impact de la Crise sur les métiers du commerce. C’est dans cet esprit que le président de DCM Jennyfer a fait intervenir un philosophe : l’occasion de réaliser que derrière une crise, émergent des opportunités de réinvention. Et que dans un tel contexte, certains savoir-être seront particulièrement valorisés professionnellement : par exemple l’intuition (ex détecter les signaux faibles, décrypter l’indicible), la créativité, la capacité à prendre des risques et à sortir de sa zone de confort.

 

La mission vis-à-vis des clients

Côté consommateurs, leur opinion par rapport au commerce a évolué favorablement : de nombreuses enseignes, notamment alimentaires, ont d’ailleurs progressé dans le classement des entreprises préférées des Français. Surtout, une part croissante de la population a aussi réalisé qu’en se rendant dans des lieux de vente, on se rend aussi dans un lieu de vie.

 

La mission sociétale

Cette crise a aussi permis de resserrer le dialogue entre pouvoirs publics (Etat, collectivités) et distributeurs, et d’illustrer le rôle de la distribution comme amortisseur des inégalités sociales, comme créateur de liant, comme catalyseur de vie dans les territoires.

 

 

Conclusion

 

La mission du commerçant dépasse donc, et de loin, le cadre transactionnel. C’est pour cela que la pérennité du secteur ne sera pas remise en cause : pas parce que les entreprises sont « too big too fail » (trop gros pour faire faillite), mais parce qu’elles sont essentielles à la société, et parce que les pouvoirs publics l’ont parfaitement intégré.
C’est aussi pour cela que de nombreux distributeurs ont encore un potentiel conséquent de croissance et de valorisation. Charge à leurs dirigeants de donner des impulsions audacieuses, et de séduire les investisseurs, grâce à des projets d’entreprise inspirants, nécessitant parfois de dépasser le seul périmètre marchand.