Distribution : cap vers la RSE rentable !

 

RSE

 

Première publication sur le site de LSA, dans le cadre des interviews d’Experts 2020. Frédéric Boublil a choisi cette année de consacrer sa tribune à la RSE dans la distribution

 

La prise de conscience des enseignes est générale : l’engagement sociétal n’est plus une option. C’est une dette.

Toute promesse d’enseigne se doit d’être responsable. Les initiatives RSE se sont donc multipliées dans la distribution, motivées tantôt par la peur (… d’être sur la liste noire des consommateurs ou des ONG), tantôt par le fantasme (… de trouver la martingale pour prendre l’avantage sur les concurrents).
Passées les premières actions, plusieurs questions restent en suspens : comment défendre sa rentabilité tout en s’engageant davantage en terme sociétal, comment concilier promesse d’enseigne et engagement responsable ? surtout, quels leviers actionner et comment les prioriser ?
Voici des principes et des cas concrets qui démontrent que responsabilité et rentabilité peuvent aller de pair.

 

Principe 1 – Traduire sa promesse d’enseigne en initiatives de commerçant responsable.

L’enjeu est de trouver le ou les liens « naturels » entre des macro tendances de consommation responsable et l’ADN de l’enseigne. Leclerc et Intermarché l’illustrent bien.

 

Le recyclage rentable

Lorsque E.Leclerc lance Leclerc Occasion, la promesse consommateur est majoritairement centrée sur le bénéfice prix : l’enseigne reste dans sa mission originelle. Et cette nouvelle offre visant à moins gaspiller permet surtout aux adhérents de reprendre la main sur des catégories non alimentaires où l’hypermarché a perdu du terrain, tout en dopant le cœur d’activité alimentaire, puisque les vendeurs de produits d’occasion sont payés en bons d’achat… à recycler dans le magasin E.Leclerc.

 

La dynamisation des territoires

Producteur Commerçant, Intermarché est à la fois dans le top 3 des groupes de distribution et quatrième groupe agroalimentaire français. De quoi jouer un rôle clef dans l’emploi des territoires, dans le liant social … et dans l’optimisation de la chaine de valeur. Là encore, l’engagement sociétal de l’enseigne fait partie de la promesse et rend le modèle compétitif. Cet écosystème vertueux contribue à l’amélioration régulière de la part de marché du groupement.

D’autres enseignes, même plus petites, peuvent s’appliquer ce principe, avec le défi de réussir à émerger face à des acteurs plus puissants.

 

Principe 2 – Construire son propre territoire de RSE, idéalement en avance de phase

C’est le cas de l’enseigne Bonobo, qui est en concurrence avec des acteurs mondiaux et multimilliardaires en CA. Bonobo a choisi, avant que la plupart des enseignes du secteur n’aient pris conscience des enjeux de responsabilité, de se positionner en Jeaner éco-responsable. Pour cela, il a mis en place une stratégie volontariste et holistique : utilisation de fibres durables et éco-conçues, forte réduction de la consommation d’eau et de l’utilisation de produits chimiques, etc.. Cela lui a permis de réaliser de la croissance sur un marché déflationniste.

 

Principe 3 – Jouer des synergies entre positionnement marketing et responsabilité employeur

Le repositionnement de la marque Jennyfer en 2019 s’est aussi traduit dans son ton de voix RH particulièrement innovant, cassant de nombreux codes, qu’il s’agisse de critères de recrutement ou de parcours de carrière. L’enseigne, challenger par rapport à des marques plus établies, devient aussi désirable pour des talents du secteur et en même temps avant-gardiste, par exemple lorsqu’elle parle d’inclusion.

 

Principe 4 – Concilier transformation de l’enseigne et transformation Responsable

Le rôle des DAF

Mettre en place de telles initiatives nécessite Capex et Opex, pour un retour sur investissement difficilement mesurable. La Direction Financière, en tant que partenaire business des directions marketing, produits, RH doit faciliter la bonne évaluation des enjeux, aider aux arbitrages, … et donner de la visibilité et de la réassurance aux actionnaires.

 

Le jeu collectif et l’agilité

Être un commerçant responsable a des traductions opérationnelles dans tous les départements (marketing, sourcing, RH, IT, etc.). De plus, les chantiers RSE sont, par essence, transverses. Les mener à bien nécessite donc d’accélérer le « dé-silotage » des organisations, initié notamment avec les chantiers digitaux.

 

Principe 5 – Eviter 3 écueils

1. Le risque du suiveur

Yuka a fragilisé plusieurs marques nationales et chahuté des catégories tout entières. Les distributeurs, avec leurs MDD sont, bien sûr, impactés. Une approche défensive conduirait à remettre à niveau les cahiers des charges produits : ne pas le faire serait suicidaire… mais le faire conduirait aussi à réduire les marges sans pour autant garantir une hausse des volumes, puisque c’est l’ensemble de l’offre du marché qui montera en niveau. A ce jeu, le suiveur dépensera donc toujours plus sans espérance de croissance. A l’inverse, une approche offensive (mais aussi bien plus complexe dans la stratégie comme dans l’exécution) consisterait à profiter de ce game-changer pour repenser de façon globale et innovante sa stratégie d’offre, de sourcing, de marketing, de prix : plus inspirant, mais aussi plus complexe en termes de stratégie et d’exécution.

 

2. Le risque du semeur

L’autre écueil est de saupoudrer les efforts sur une variété de leviers RSE, au risque de perdre de l’impact, et aussi de la cohérence. La tentation est forte notamment lorsque la promesse d’enseigne n’est pas assez structurante et lorsque l’engagement sociétal de l’enseigne n’est pas assez clarifié.

 

3. Le risque du tout communiquant

Gagner une caution responsable à coup de buzz fait rêver les marketers ; mais, dans les faits, obtenir ses galons de commerçant responsable est un chantier au long cours reposant sur une promesse de marque cohérente avec un engagement sociétal réel, combinant des chantiers structurants et des initiatives avec une visibilité à plus court terme. Ainsi, Camif Matelsom concilie très judicieusement une politique de responsabilité ambitieuse et structurée – l’enseigne faisant partie des premières entreprises à mission – et des opérations de communication décalées et innovantes qui dopent sa notoriété (comme la fermeture du site marchand le jour du black Friday).

 

Conclusion

Plus d’enseignes qu’on ne l’imagine a priori ont les moyens de s’ancrer davantage dans une démarche de RSE rentable. Pour cela, il est indispensable de rester cohérent avec son ADN, de bien choisir ses batailles, et d’être toujours en avance de phase.

Chercher la responsabilité rentable permet aussi aux enseignes de se transformer, et notamment
– Préempter de nouveaux terrains – formats de magasins, offres de services
– Changer son rapport aux clients, avec davantage de transparence, d’horizontalité
– Faire évoluer sa façon de travailler, en recherchant toujours plus d’agilité, de prise de risque, de jeu collectif, et de rigueur dans l’exécution

Le sens est donné !!

 

Lien sur le site de LSA

https://www.lsa-conso.fr/experts-2020-cap-vers-la-responsabilite-rentable,338046